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Environnement

Acheter des parcelles boisées pour les préserver : quand la forêt entre en résistance citoyenne

Publié le 28/03/2024 à 17h30 Cécile Carton

Pour préserver des forêts, des Poyaudins créent un groupement forestier citoyen afin d'acheter des parcelles boisées et y laisser les éosystèmes se développer. Photo © Céline Niel

Suivant les traces d’une pionnière du Morvan, de simples citoyens se regroupent pour acheter des parcelles boisées et ainsi protéger les paysages et la diversité des essences. Dans l’Yonne, un groupement forestier citoyen et écologique est en train de se lancer, sur la terre de la Puisaye-Forterre.

"Si on plante, c’est qu’on s’est planté." Comme un adage, la phrase résonne dans les bois, de plus en plus fort, au rythme où germent des initiatives citoyennes de préservation de la forêt. À l’inverse des pratiques interventionnistes de gestion de la nature, des militants entendent laisser les écosystèmes se développer suivant le concept de libre évolution. Et pour agir concrètement, ils se sont emparés d’un outil légal, créé en 1954 par le gouvernement : les groupements forestiers.

C’est une Morvandelle, Lucienne Haèse dite Lulu du Morvan, qui la première a eu l’idée d’en faire une structure citoyenne, en 2003. Depuis, plus de vingt-cinq ont vu le jour, essentiellement ces cinq dernières années. Dans l’Yonne, cinq Poyaudins viennent ainsi de lancer un groupement forestier citoyen et écologique (GFCE).

Des Poyaudins créent un groupement forestier citoyen. Photo Céline Niel.

Baptisé Le Baron perché, du nom du conte philosophique d’Italo Calvino, ce premier GFCE icaunais est né le 25 janvier 2024, inspiré par ses deux grands frères morvandiaux - l’historique Groupement pour la sauvegarde des feuillus du Morvan et le Chat sauvage. À l’origine, un ras-le-bol. "Entre avril et août 2022, 6 hectares de bois ont été rasés derrière chez moi. J’entendais les tronçonneuses tourner tous les jours. La période choisie, au printemps, m’a choquée. Nous avons été plusieurs à le signaler à l’Office français de la biodiversité", raconte Marie-Pierre, l’une des cofondatrices.

La pratique des coupes rases dénoncée

Sur une coupe rase. Photo Céline Niel.

À l’automne 2022, elle se rend sur les lieux de la coupe et découvre sur des panneaux que "cet abattage a bénéficié de subventions de l’État, en lien avec le projet du gouvernement de planter un milliard d’arbres", rit jaune la militante.

En effet, selon les projections du Conseil supérieur de la forêt et du bois (CSFB), sur le milliard d’arbres voulu par Macron d’ici 2030, seuls 7 % viendront s’ajouter aux forêts existantes. Pour le reste, il s’agit en réalité de remplacer. Plus des trois quarts des plantations auront lieu "en plein", c’est-à-dire après coupe rase. Une pratique sylvicole qui consiste à abattre des parcelles entières pour y replanter de jeunes arbres.

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Selon un récent rapport de la Chambre régionale des comptes (*) le volet forestier de France relance "a permis de nombreuses plantations en monoculture après coupe rase, peu propices à l’adaptation des peuplements. [...] La moitié des surfaces privées replantées l’ont été en monoculture." La diversification en forêt publique a néanmoins été "beaucoup plus importante". "Ce genre de coupes rases se multiplient. Elles sont suivies de plantations en monoculture. Or la monoculture, ce n’est pas de la forêt ; et la forêt n’est pas qu’une marchandise destinée à alimenter la filière industrielle", s’indigne Marie-Pierre

Tout le hiatus est là. La forêt se trouve au carrefour d’enjeux divers et doit répondre à des injonctions parfois contradictoires, entre amélioration de sa valeur économique et amélioration de sa valeur environnementale.

Devenir propriétaire, la clef pour agir

Or, l’Yonne est le département de Bourgogne Franche-Comté qui compte la plus grande part de forêts privées, à hauteur de 80,4 %. Les propriétaires sont en grande majorité des particuliers, mais aussi des financiers, des fonds d’investissements ou des institutionnels. "Et souvent, pour ces gens-là, ce qui prime, c’est la rentabilité. Donc devenir nous-mêmes propriétaires, c’est la clef. Comme ça, on peut gérer comme on veut", défend Emmanuel Repérant, du Réseau pour les alternatives forestières (RAF).

Dans l'Yonne, plus de 80% de la forêt est privée. Photo Céline Niel

Né il y a quinze ans, le RAF aide les groupements forestiers citoyens à se constituer. Et la demande est de plus en plus forte. "Agir de l’intérieur a un impact différent des autres actes militants, c’est ça qui séduit. On se sert de ce que l’État propose, on entre dans le moule des groupements forestiers, on utilise un outil existant et légal pour agir concrètement. C’est de la réelle stratégie", explique Emmanuel Repérant.

"La forêt est un bien commun, défendent les membres du groupement forestier Le Baron perché. Notre projet est d’acheter collectivement des parcelles forestières, y pratiquer une sylviculture douce, coopérer avec des filières locales et y favoriser des actions pédagogiques. Nous n’avons pas de but lucratif, nous voulons simplement démontrer que des alternatives sont possibles au service d’une forêt vivante, dans le respect de sa biodiversité et pour un usage économique raisonnable."

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Le GFCE Le Baron perché a déjà une parcelle de forêt en vue.

Douze sociétaires et une parcelle en vue

Le GFCE poyaudin, en cours de création, compte pour l’instant douze sociétaires. Il est ouvert à toute personne physique ou morale souhaitant acquérir des parts sociales, d’une valeur nominale de 250 € et pour une durée de cinq ans minimum. "Nous disposons d’un capital de 7.000 €, notre objectif est d’atteindre les 15.000 € pour démarrer. Nous avons déjà une parcelle de forêt en vue, mais pour l’instant, on garde le secret", sourit Anne-Marie, autre membre fondatrice.

Les militants comptent aussi contacter les élus, et notamment la communauté de communes, dans un souci de pédagogie. Toujours selon le rapport de la Chambre régionale des comptes, "un nombre insuffisant de forêts sont gérées au niveau intercommunal", or "la gestion intercommunale de la forêt revêt de nombreux avantages. La collégialité permet de privilégier une meilleure orientation des décisions concernant l’exploitation forestière vers la sylviculture et non vers des motivations uniquement financières. L’élaboration des documents de gestion sur des surfaces plus importantes génère par ailleurs des économies d’échelle".

"Acquérir collectivement des forêts est un moyen simple et à notre portée pour changer les choses", rêvent les militants du GFCE Le Baron perché. Car ils le savent : "La forêt n’a pas besoin de nous, nous avons besoin d’elle."

(*) Source : L’accélération du changement climatique : un défi majeur pour les forêts de Bourgogne Franche-Comté ; rapport thématique régional de mars 2024